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Célimène aime Alceste et Alceste aime Célimène, mais tout les oppose, à commencer par leur conception de l’amour. Célimène, jeune femme mondaine et brillante, entend conserver une part de liberté. Elle n’a que vingt ans mais se trouve déjà veuve, seul statut matrimonial qui permettait à une femme du XVIIe siècle d’être pleinement indépendante. Alceste est quant à lui jaloux et possessif. Par ailleurs, son désir obsessionnel de sincérité le pousse à refuser toutes les concessions qu’implique la vie sociale.

Au-delà de leurs différences, tous deux posent la question de la frontière entre l’individu et la société, et des contradictions entre les normes collectives et les principes ou les aspirations de chacun (le refus de l’hypocrisie pour l’un, la volonté d’indépendance et d’émancipation pour l’autre).

Autour de ces deux personnages évolue une faune de caractères ridicules, nuisibles ou attachants à travers lesquels Molière dresse une peinture aussi nuancée que mordante de l’humanité.

Distribution

AcasteAdam Boucard
AlcesteVictorien Buisson
ArsinoéMarie Rovecchio
BasqueMadeleine Voleau
CélimèneLucie Cervantès
ClitandreJordan Gadeau
Du BoisAxel Afonso
ÉlianteAimie Jacques
PhilinteAxel Afonso
VioloncelleMadeleine Voleau

Adaptation et mise en scèneMarc Douguet
Collaboration à la mise en scèneIuliia Zelinskaia
Création et régie lumièresRémi Berna et Iuliia Zelinskaia
CostumesThibault Affre, avec la collaboration d'Adam Boucard
PostichesAdam Boucard
MaquillageMarine Carcelen
Affiche, flyer et feuille de salleAlisa Skorikova
PhotographiesAxel Afonso, Anna Anufriieva et Michel Morin
Captation vidéoAnna Anufriieva et Aurélien Portier-Bouverot
MontageAnna Anufriieva

Spectacle créé au Live arts lab de l'Université Grenoble Alpes le 19 mai 2024 et capté au théâtre de l'Aparté le 30 mai 2024.

Spectacle présenté par la compagnie La Sphingerie et soutenu par l'Université Grenoble Alpes, la Faculté H3S, l'ANR, France 2030, le département de lettres de l'UFR LLASIC, le Service Culture de l’UGA, l'UMR Litt&Arts, la SFR Création et le CROUS

La compagnie remercie les directeurs et directrices des composantes et des services qui ont rendu ce projet possible, notamment Kevin Sutton (H3S), Florian Barrière (UFR LLASIC), Adrien Cavallaro (département de lettres) et Gretchen Schiller (SFR Création), ainsi que toutes leurs équipes, et tout particulièrement Bernadette Nsengiyunva, Sylvie Berthier, Manon Georget, Sophie de Boisriou, Francesca Battistello, Géraldine Grégoire, Virginie Meunier, Michel Morin, Greta Pavanati, Sébastien Verdier et Matthieu Mervant.

Merci enfin à Bertrand Pazos et à Brigitte Jaques-Wajeman dont l’atelier « Dire et jouer le théâtre en vers », organisé à l’UGA dans le cadre du projet, nous a donné de solides outils pour aborder la diction de l’alexandrin ; et à Marc Escola, dont les réflexions critiques développées dans Le Misanthrope corrigé. Critique et création (Hermann, 2021), ont donné un fondement théorique à nos expérimentations sur la structure de la pièce.

En mémoire de Georges Forestier.

« Non, vous ne m’aimez point comme il faut que l’on aime »

Nous avons ainsi voulu placer au centre du spectacle non pas le seul Alceste ou l’opposition traditionnelle entre Alceste et Philinte, mais la relation qui unit Alceste et Célimène, ses paradoxes, sa force et son évolution. Alceste est un idéaliste qui dénonce l’hypocrisie et la corruption de la société (c’est dans cette vision du personnage que Rousseau, au siècle suivant, se reconnaîtra), mais Molière en fait aussi un contre-modèle ridicule : emporté par les excès de sa jalousie et de son orgueil, il prend le contre-pied de toutes les valeurs promues par la société « galante » de l’époque.

« Son cœur, de ce qu’il sent, n’est pas bien sûr lui-même »

Une des richesses du Misanthrope tient à l’écart entre l’intériorité (inaccessible) des personnages et le discours que les autres (personnages aussi bien que critiques) tiennent sur eux. C’est cet écart qui nourrit, d’époque en époque, notre imagination et notre jeu.

Célimène est accusée de « coquetterie » et d’hypocrisie, mais le texte de Molière laisse planer à son sujet une insoluble ambiguïté, et tout autorise à la croire sincèrement amoureuse d’Alceste, malgré les soupçons et les doutes maladifs qui habitent ce dernier : ce serait, dans ce cas, l’obligation de discrétion pesant à l’époque sur l’amour féminin qui la force à n’exprimer ses sentiments qu’à demi-mots ; ce serait la nécessité où elle se trouve de tenir son rang dans l’univers hostile de la cour et de garder son indépendance qui l’oblige à faire preuve de médisance et de dissimulation.

Il en va de même pour les autres personnages. Arsinoé est qualifiée de « prude » mais elle développe également par moment un discours orginal et lucide sur l’aliénation des femmes dans la société de l’époque. Les deux « petits marquis », Acaste et Clitandre, sont ridicules par leur vanité, mais ils présentent un réel danger : ils ont le pouvoir de faire et de défaire les réputations, dans un milieu où les moindres nouvelles se diffusent de façon incontrôlable. Philinte, bien qu’exemple type de l’« honnête homme », ne saurait être considéré comme un porte-parole de Molière : c’est aussi quelqu’un qui (comme tous les personnages de Molière qualifiés traditionnellement de « raisonneurs ») a le goût de la provocation et se livre à un éloge paradoxal du vice et de la corruption. La « sincère » Éliante est quant à elle le seul personnage qui connaisse une véritable évolution : c’est une figure d’autant moins terne (contrairement à l’impression première que l’on pourrait en avoir) et d’autant plus complexe que cette évolution opère de manière subtile, tout intérieure, sans que l’on s’en rende compte au premier abord, à l’arrière-plan des déchirements passionnels qui agitent les autres personnages.

Aux frontières de la comédie

Le Misanthrope mélange hardiment les registres, et nous sommes allés puiser notre énergie dans cette hybridité. C’est une comédie « de caractère », mais qui contient des scènes farcesques ; où Alceste, par moment, parodie le style tragique ; et dont le dénouement, enfin, se distingue des dénouements traditionnels de comédie par sa gravité et sa mélancolie. Et si Le Misanthrope n’est pas, à l’origine, une comédie-ballet, nous avons cherché à explorer à notre façon, comme Molière dans d’autres pièces, les rapports entre théâtre et musique en faisant dialoguer comédiens et violoncelle.

Un projet artistique, pédagogique et scientifique

Ce projet tisse des liens entre enseignement, recherche et création. La troupe est constituée d’étudiants en licence et en master de lettres et d’arts du spectacle de l’Université Grenoble Alpes, réunis dans le cadre d’un atelier animé depuis septembre 2023 par Marc Douguet, enseignant-chercheur et spécialiste du théâtre du XVIIe siècle. Le spectacle repose sur la mise en commun des différents talents artistiques, et s’est nourri des propositions dramaturgiques de chacun.

Les liens entre recherche et création sont nombreux et multiples. Dès lors que l’on monte une pièce du répertoire, il devient indispensable de se livrer à un travail de dramaturgie qui replace le texte dans son contexte historique (quitte à assumer, de façon consciente, des anachronismes), confronte les lectures qui en ont été faites (pour s’en inspirer ou en proposer de nouvelles), compare les versions quand il en existe plusieurs (quitte à dessiner un chemin inédit dans le jeu des variantes), explique certaines spécificités linguistiques (il faut comprendre le texte pour le faire comprendre), ou rende compte des procédés dramaturgiques. Analyser la structure intime de l’œuvre et la mécanique de sa composition (sans ignorer ses chevilles et ses artifices) nous permet de faire émerger ce qu’elle a de plus intéressant : ses failles, ses incohérences, son inconscient. En ce sens, représenter une pièce de théâtre et en proposer une édition critique sont deux gestes similaires.

Dès lors également que l’on utilise les œuvres du passé dans une perspective de création et non seulement de remise en scène, les travaux sur la dramaturgie classique nous donnent de précieux outils pour adapter le texte tout en restant fidèle à son esprit : ils nous enseignent à considérer une œuvre comme un objet non pas figé, mais en perpétuelle mutation, dont l’édition nous a livré un état parmi d’autres possibles (les sources imitées, les premières ébauches, les étapes de création dont on peut faire l’hypothèse, les continuations ou réécritures postérieures). Ils nous permettent aussi d’appliquer ou de détourner certains procédés dramaturgiques. En abrégeant le texte (comme nous l’avions fait précédemment dans *Le Barbier de Séville en 20 minutes*), nous avons par exemple été amenés à modifier le rythme de la pièce, à créer (dans les dialogues comme dans le tissu des scènes) des liaisons là il y avait de la discontinuité, et inversement, à introduire de nouvelles formes de ruptures. Nous nous sommes également inspirés des propositions théoriques formulées par Marc Escola dans Le Misanthrope corrigé. Critique et création (Hermann, 2021), ou de la démarche adoptée par Georges Forestier pour « restituer » Le Tartuffe en trois actes (Portaparole, 2021).

Mais la recherche n’est pas seulement au service de la création : ces deux démarches entretiennent en réalité un dialogue réciproque et fécond. La création permet ainsi, par la pratique, de tester des hypothèses ou de comprendre certains phénomènes. À quelle condition et comment peut-on transformer un personnage individualisé en chœur collectif ? Quel effet cela produira-t-il ? Comment construire un monologue à partir d’un dialogue ? Comment respecter la musicalité de l’alexandrin tout en évitant les écueils de la monotonie ? Que nous apprend sur le fonctionnement de l’œuvre la possibilité de supprimer telle réplique, tel personnage, tel fil de l’intrigue (comme celui qui concerne Oronte, et que nous avons relégué hors scène pour nous concentrer sur l’intrigue principale) ? Le spectacle auquel nous avons abouti ne retient évidemment pas tous les essais auxquels nous nous sommes livrés, mais témoigne du fait que la création théâtrale constitue un protocole expérimental.